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Entretien sur l’Ǝcole

By Céline Chazalviel

L’Ǝcole est un espace de discussion et d’expérimentation pour réfléchir ensemble les usages d’une école alternative des pratiques et savoirs en arts visuels. Initiée en octobre 2020 au CAC Brétigny, l’Ǝcole a jusqu’ici fédéré un ensemble de personnes d’horizons variés qui ont en commun un désir d’apprendre à et de, et de faire autrement.

Véritable recherche en acte(s), l’Ǝcole est co-construite par les participant·es au fil de leurs discussions. Comment concevoir une école dont les processus de transmission ne soient ni descendants ni autoritaires ? Les réflexions sur les contenus pédagogiques et la structure de l’Ǝcole sont partagées : qui enseigne quoi et comment ? Ces considérations sont alimentées par l’histoire croisée de l’éducation populaire et des arts visuels. Elles rencontrent la question de l’art amateur et professionnel (pensés habituellement comme des pratiques opposées) et la notion de travail de manière plus générale.

Lors de l’exposition Nid de Camille Bernard (mai-juillet 2022), l’Ǝcole a investi l’exposition pendant deux mois avec un espace de pratique libre où l’on maquillait fruits, bouts de bois et textes théoriques, des ateliers à la demande mêlant broderie, maquillage ou fabrication de tampons et un ensemble de rendez-vous (lectures, traduction ou invitations). L’Ǝcole a poursuivi ses expérimentations en dialogue avec l’exposition Crazy Toads de Carlotta Bailly-Borg et Cécile Bouffard de janvier à avril 2023. Un espace de pratique libre invitait chacun·e à fabriquer une amulette avec de l’argile, du tissu et des plantes, ou à échanger autour de jeux conçus par des artistes comme autant d’outils de pédagogie ludique : L’Art et ma carrière d’Olivia Hernaïz, Chaud Bouillon de Line Hachem et Raphaël Serres, et «Eux» et «nous»: ce qui nous rassemble, ce qui nous sépare de Clémence de Montgolfier (The Big Conversation Space).

Ont participé à une ou plusieurs séances de l’Ǝcole : Hervé Ardisson, Mamadou Balde, Juliette Beau Denès, Camille Bernard, Laura Burucoa, Morgane Brien-Hamdane, Margaux Carvalho, Jérôme Colin, Mathis Collins, Mélissa Colombani, Thomas Conchou, Étienne de France, Camille Duval, Milène Denécheau, Domitille Guilé, Ariane Guyon, Celine Drouin Laroche, Victorine Grataloup, Loïc Hornecker, Elisa Klein, Daisy F. Lambert, Louise Ledour, Juliette Lefebvre, Elena Lespes Muñoz, Fanny Lallart, Thomas Maestro, Vinciane Mandrin, Camille Martin, Lou Masduraud, Gayta Mervil, Anne-Charlotte Michaut, Marie-Françoise Millon, Céline Millot, Mathilde Moreau, Anna Pericchi, Coraline Perrin, Zoé Philibert, Marie Plagnol, Mélanie Pobiedonoscew, Céline Poulin, Marie Preston, Dina Ravalitera, Sébastien Rémy, sophie rogg, Katia Schneller, Ana Tamayo, Rébecca Théagène, Emilie Tournellec, Valentina Ulisse, Juliette Valenti, Nathalie Valenti et Gaël Vince.

Céline et Milène, vous avez participé au projet de l’Ǝcole depuis le début. Pourriez-vous revenir sur ce qui a motivé la création du groupe et sur la manière dont vous avez défini les pistes de recherches et donné les premiers contours à ce qui allait devenir l’Ǝcole ?

Céline Poulin : Tout est parti du projet de réaménagement de l’étage du bâtiment qui annonçait de nouveaux espaces de travail pour le CAC et notamment un espace d’atelier et de pratique pour les groupes, ce qu’il y a dans beaucoup de centres d’art. Je me suis dit que ce serait intéressant de réfléchir aux usages possibles de cet espace, qui seraient pertinents par rapport à notre contexte, qui répondent à des besoins ou désirs potentiels des usager·ères, et notamment en lien avec la recherche qu’on mène avec Marie Preston – l’idée d’avoir des outils qu’on construit collectivement, des espaces dont on peut s’emparer…

Milène Denécheau : Céline a proposé cette idée à l’équipe et on a ensuite discuté pour déterminer ce qu’on pouvait mettre en place pour impliquer les usager·ères du CAC, c’est-à-dire toutes les personnes qui passent au centre d’art – nous, les salariées de l’équipe et les personnes en stage ou en service civique, mais aussi les artistes, les personnes qui participent aux visites de groupe ou qui viennent individuellement, celles qui encadrent les groupes… On a décidé de leur proposer un rendez-vous pour savoir ce qu’iels aimeraient y apprendre et y transmettre, puis plusieurs pour continuer à réfléchir ensemble.

CP : On n’a pas voulu trop prédéfinir la manière dont ces rendez-vous allaient se passer parce que l’Ǝcole est autoréflexive c’est-à-dire que c’est en se demandant comment on va échanger et construire ce groupe de recherche qu’on est déjà en train de mettre en place des méthodologies de travail collectif et collaboratif. On a simplement un petit peu cadré les choses et on a décidé que nous, les membres de l’équipe du CAC, ne représentions pas nos statuts dans l’Ǝcole, c’est-à-dire qu’on était des usager·ères avant d’être directrice ou médiatrice. Aucune idée ne devait prendre le dessus pour des raisons hiérarchiques. Progressivement, on a dû réfléchir à de nouvelles modalités et se repositionner par rapport à l’idée très utopique que ce groupe de recherche allait être autonome. On avait décidé au départ d’être tous·tes bénévoles, de participer à l’Ǝcole en dehors de nos heures de travail mais petit à petit, on s’est rendu compte que ça ne fonctionnerait pas. Nier nos responsabilités respectives en tant que membres de l’équipe rendait les choses dysfonctionnelles.

MD : On s’est rendu compte que les participant·es n’avaient pas nécessairement envie de s’investir tous·tes à la même échelle dans le groupe, donc une forme de hiérarchie allait s’installer de soi. Finalement, le noyau dur du projet s’est formé autour de l’équipe du CAC, qui était là à presque toutes les occurrences, même si quelques autres personnes participaient très régulièrement aux rendez-vous.

Marie Plagnol : Même en dehors des cadres de travail, il y a souvent des hiérarchies qui se créent implicitement dans les projets collectifs, en fonction de l’investissement des personnes ou de leur présence lorsque les décisions se prennent. Le fait que l’Ǝcole se soit mise en place dans le CAC, où il y avait des cadres préexistants et un investissement au sein de la structure très variable selon les personnes, a forcément eu une influence sur le fonctionnement.

CP : Oui, et on s’est aussi rendu compte que tout le monde n’était pas là pour les mêmes raisons. On avait quand même des attentes et un rôle de guide dans les conversations. On a commencé par des rendez-vous mensuels, qui étaient finalement très discursifs. On souhaitait que notre groupe ne ressemble pas à ce qui se passe à l’école ou à un groupe de recherche universitaire classique, mais propose une recherche expérimentale et inclusive. Idéalement, on avait envie d’inclure dans le groupe des enfants ou des personnes qui ne soient pas forcément à l’aise avec la langue par exemple. Les premiers rendez-vous se basaient beaucoup sur la conversation, cela a pu créer une disparité entre participant·es, certain·es étant plus ou moins à l’aise avec la prise de parole. On a donc voulu créer des cadres pour que la parole circule mieux, et ces cadres ont pris la forme de sous-groupes. Il est plus facile de parler ensemble à 5 qu’à 25.

MD : On avait envie de ne pas seulement être dans l’intellect mais aussi dans le faire. Petit à petit, on a orienté des temps dédiés avec des activités variées : la lecture, les partages d’expériences, mais aussi, par exemple, la transmission de savoir-faire, entre les personnes du groupe ou en invitant des artistes. Afin de pouvoir inclure d’autres publics, comme le disait Céline, on a voulu proposer un endroit plus facilement accessible que les rendez-vous de l’Ǝcole, qui étaient le soir, en semaine, et excluaient de fait certaines personnes. En sous-groupes, on a écrit sur des grandes feuilles de papiers des choses qu’on aimerait apprendre des autres, apprendre aux autres, des outils ou infrastructures qu’on aimerait avoir pour pouvoir apprendre. De cet exercice était ressortie l’idée d’avoir un espace avec plein d’éléments, comme une grosse boîte à outils, que les gens puissent prendre pour ensuite apprendre aux autres, ou en autonomie, ou avec quelqu’un·e d’autre…

MP : C’est de là qu’est née l’idée de faire une exposition avec un espace de pratique de l’Ǝcole ?

MD : Oui, le cheminement s’est fait à partir de là.

CP : Et aussi de la volonté d’avoir un espace dans lequel on peut venir sans horaire fixe, parce qu’il y avait aussi la question de la pratique, de ce qu’on apprend en arts visuels. On souhaitait avoir un espace dédié à l’apprentissage autodidacte et personnel avec des outils mis à disposition.

MD : C’est là qu’on a pensé à l’exposition, qui nous paraissait être le bon contexte.

CP : Oui, mais il ne fallait pas que ça réifie l’expérience. L’idée n’était pas que l’Ǝcole devienne un sujet d’exposition, parce que ça aurait mis trop de pression à cet espace expérimental qui avait le droit à l’échec. On a donc décidé de faire une exposition qui allait accueillir l’Ǝcole, et je me suis dit que ce serait super de choisir l’artiste ensemble.

MD : Et c’était à une période où l’équipe avait un peu plus de temps, parce que les lieux culturels étaient fermés pendant les divers confinements et surtout que les programmations étaient décalées. On s’est posé la question de savoir si on impliquait les personnes qui venaient au rendez-vous de l’Ǝcole dans le choix de l’artiste, mais on s’est dit que c’était une charge trop lourde à mettre sur les épaules de personnes qui venaient bénévolement sur leur temps libre, et que c’était un métier, ou plutôt des métiers, de faire des expositions. À ce moment-là, il y avait donc plusieurs échelles dans le projet, celle du groupe de l’Ǝcole et celle de l’équipe du CAC autour du commissariat collectif de l’exposition Nid de Camille Bernard.

CP : On s’est aussi posé la question du travail gratuit. Autant on pouvait impliquer des personnes dans des discussions à propos de l’institution si cela restait du domaine de l’expérimentation et d’un moment de plaisir collectif, autant, à partir du moment où on était dans l’ordre de l’organisation d’une exposition qui avait un objectif clair et une impossibilité d’échouer (l’exposition devait ouvrir à une date définie par exemple), c’était du travail, et il n’y avait aucune raison que ce travail soit gratuit. L’équipe du CAC devait prendre en charge le care (préparer l’accueil des personnes participantes, le café, le thé, etc.) et l’organisationnel de l’Ǝcole (les dates de rendez-vous, le calendrier, etc.), et donc aussi l’exposition. Mais  l’installation de l’Ǝcole dans Nid a été réfléchie de manière collective avec tous les membres du groupe. En tout, il y a eu trois incarnations de l’Ǝcole dans l’exposition, qui correspondaient aux trois sous-groupes qu’on a constitué lors des rendez-vous mensuels. La plus pérenne, qu’on a retrouvée dans l’exposition Crazy Toads, est l’espace de pratique libre.

MD : On a aménagé dans l’exposition Nid un espace consacré à l’Ǝcole pour pratiquer librement. Il y avait du mobilier créé spécifiquement et du matériel à disposition, qui a été choisi à partir des idées proposées par les membres de l’Ǝcole, et qui permettait de pratiquer l’art autrement que d’une manière scolaire. Il y avait donc des outils un peu incongrus pour faire des activités comme du maquillage sur des fruits par exemple.

MP : Les outils qu’on utilise à l’école impliquent tout de suite un cadre, même en dehors de l’environnement scolaire. Quand on fait de la médiation, c’est assez frappant de voir qu’il y a plein d’éléments qui sont difficiles à amener à cause de cela, et qu’il faut donc changer les outils de l’institution.

CP : Un autre groupe a travaillé à des propositions libres, « les ateliers à la demande ». Les usager·ères du CAC pouvaient proposer des ateliers puis il y avait un système de vote pour choisir l’activité qu’on allait activer pendant l’exposition. C’était un peu sur le mode de l’université libre, du partage des savoirs. Il y a eu beaucoup de propositions mais finalement assez peu de participant·es à ces ateliers. Il s’est passé la même chose avec « les Rendez-vous de l’Ǝcole » le troisième sous-groupe, axé sur la programmation, qui réfléchissait à des lectures, des arpentages ou des invitations à des personnes extérieur·es pour partager des expériences pédagogiques. Il y avait beaucoup d’idées et d’envies, mais assez peu d’investissement dans la mise en œuvre ou dans la venue aux événements en eux-mêmes.

Elisa Klein : J’étais dans ce dernier groupe plutôt événementiel. C’était à la période où je suis arrivée au CAC en tant que responsable de production. Ma première semaine, il y avait une des dernières réunions entre les pôles et il s’agissait de fixer des choses. J’ai choisi d’intégrer ce groupe, dans lequel il y avait énormément de super idées, comme la lecture de Oh ernesto de Marguerite Duras, l’arpentage d’Apprendre à transgresser de bell hooks ou l’invitation à un autre groupe de recherche, l’École Zéro, à partager avec nous leurs expériences autour de la pédagogie et de la transmission. Tout le monde était enjoué·e par ces propositions, mais je me suis retrouvée avec Mathilde, qui était en service civique production et commissariat, à les mettre en œuvre. Par exemple, il a fallu que j’approche le collectif de l’École Zéro, que je leur présente le projet, et cela n’a pas été facile pour moi qui venait d’arriver. J’avais l’impression que c’était une mission qui se rajoutait à mon poste, et je devais être capable de bien expliquer le projet pour pouvoir réfléchir ensemble à une forme de rencontre. C’était très intéressant, on s’est posé plein de questions, sur la manière dont adresser nos questionnements et nos réflexions expérimentales. Finalement, iels sont venu·es et on a marché autour du CAC en discutant. C’était passionnant, mais effectivement, il n’y avait presque que des membres de l’équipe du CAC.

CP : Il y a aussi eu une inadéquation entre le nombre de propositions et les capacités du centre d’art à les porter. On avait accepté quasiment l’ensemble de ces propositions parce qu’on croyait qu’il y avait un portage collectif, or ce n’était pas le cas. Cela veut dire que l’objet de l’Ǝcole n’était pas de faire de la programmation collective avec les usagers et usagères. En tant que directrice, je n’ai pas cadré les choses  par rapport  aux moyens du centre d’art pour mener ou non ces actions-là car nous avions choisi que ces décisions soient prises collectivement. J’ai pensé que ces propositions étaient connectées à une réalité qui était celle d ‘un investissement collectif de ce sous-groupe, mais ce n’était pas le cas. Ce n’était pas possible pour les membres du sous-groupe de venir toutes les deux semaines, et ce n’était pas non plus possible pour le CAC de travailler suffisamment en termes de communication et de fédération pour créer des événements vraiment publics. Le format n’était pas opérant.

MD : Je pense que c’est normal dans un groupe expérimental comme l’Ǝcole de faire des expériences qui n’aboutissent pas totalement et doivent se transformer. Quand on emprunte un chemin qui n’est pas nécessairement le bon, il faut bifurquer.

MP : Je pense que je suis arrivée au CAC au moment où on a bifurqué. Je venais d’arriver quand on a fait le bilan de l’exposition Nid et de l’espace de pratique libre, des ateliers à la demande et de la programmation qui avait eu lieu autour de cette exposition. J’ai l’impression que c’est à ce moment-là qu’on a questionné les formats de l’Ǝcole – leur construction, le public à qui ils s’adressaient, à quel moment et sous quelle forme, mais aussi l’implication de l’équipe du CAC. En tant que nouvelle arrivée comme responsable de communication et de médiation, j’avais l’impression de ne pas arriver à me détacher de mon rôle dans la structure. Par exemple, c’était souvent moi qui écrivais le texte pour les rendez-vous mensuels, ce qui impliquait qu’il y avait ma patte dans la manière dont les rendez-vous se définissaient, et le fait que les membres de l’Ǝcole viennent ou non au rendez-vous reposait sur moi. J’ai l’impression que ce sont ces questions qui ont fait que l’Ǝcole s’est transformée, notamment autour de l’exposition Crazy Toads. On a continué à travailler collectivement, au sein de l’équipe du CAC, et autour de l’espace de pratique libre. La partie publique s’est transformée en quelque chose de plus événementiel, curaté collectivement, qui a pris la forme d’un samedi avec l’Ǝcole. Cela nous a permis, en tant qu’équipe, de s’investir chacune dans ses missions de production, médiation ou communication…

CP : On a fait le bilan de l’expérience collectivement et on a tiré des leçons qui visaient aussi à respecter les corps (au sens de la chair des individus) de l’institution. Faire de la transversalité, oui, mais pas si cela doit nous faire travailler de manière démesurée. L’idée, c’est que ce soit bénéfique pour le groupe, et je pense que cette expérience a modifié l’institution de manière assez profonde, notamment en termes de conversation entre nous. Cela a également rendu plus visible la porosité entre médiation, communication et commissariat. Le groupe de l’Ǝcole a rassemblé des personnes qui avaient été en stage ou avaient collaboré avec le CAC de différentes manières, ce qui a flouté en un sens les frontières de l’institution. Cela a créé une forme de communauté qui ne se résume pas au statut qu’on a dans ou autour de l’institution. Des personnes non salarié·es participent à l’identité du centre d’art.

MD : Oui, et cela a modifié certains liens avec des partenaires, comme des encadrant·es de groupes qui viennent au CAC par exemple. L’Ǝcole a permis une autre forme d’échange et de collaboration sur certains projets, et je pense que ces personnes se sentent peut-être plus à l’aise de dire des choses qu’elles n’auraient pas forcément osé formuler avant. Cela a vraiment été bénéfique.

MP : L’Ǝcole existe dans un contexte qui était celui de ton projet pour le CAC, Céline, et c’est aussi pour cela qu’il me semble intéressant de souligner qu’il y a eu énormément de projets qui ont nourri l’Ǝcole et qui ont été nourris par l’Ǝcole. Cela a par exemple  influé sur nos manières de travailler. Pour l’équipe de médiation, le fait d’avoir un espace de pratique libre dans les expositions a fait évoluer la manière dont on construit les ateliers. Je me souviens de discussions autour des « Devignettes » (le support pour enfants) pour l’exposition Nid. Vous vous étiez donné comme règle de ne pas mettre de question directive et qu’il n’y ait pas de bonne ou de mauvaise réponse et on a essayé de conserver ce principe par la suite. Je pense que cela a été possible parce que les supports de médiation sont faits collectivement et que le rôle de la médiation est réparti entre plusieurs personnes, ce qui crée des espaces collectifs au sein d’une petite équipe. Ce n’est pas le cas dans tous les centres d’art.

MD : Oui, ce qu’on a fait au sein de l’Ǝcole a influé nos manières de collaborer et d’échanger sur les projets. Je pense qu’avoir participé au commissariat collectif d’une exposition m’a permis de mieux saisir les enjeux du commissariat, et d’échanger autrement sur les expositions futures. Quand on a décidé que Céline ferait le commissariat de Crazy Toads, qui allait accueillir la seconde occurrence de l’Ǝcole dans l’espace d’exposition, on a beaucoup discuté de comment chacune pouvait s’investir dans le projet. Cela a permis une autre réorganisation.

CP : Et d’apprendre à discuter différemment.

MP : Ce sont aussi des choses qui se travaillent sur le long terme, et il y a forcément des moments où cela fonctionne plus ou moins bien, pour de nombreuses raisons liées à l’expérimentation – quelle personne, avec quelle personnalité y participe ? à quel moment on accepte de discuter ? Être dans des contextes où il y a un espace de discussion, cela suppose aussi d’accepter de ne pas être d’accord. Selon les moments, les réunions d’équipe, la vie de l’institution, il y a des temps où c’est plus ou moins possible de discuter et de prendre le temps de ne pas être d’accord. Il y a des moments où l’Ǝcole et une certaine horizontalité ont été plus ou moins présentes dans le quotidien de la vie de la structure.

CP : Oui, même si le terme horizontalité est peut-être un peu fort. En tous cas, il est important de ne pas invisibiliser les rapports de pouvoir réels qui existent.

MD : Oui, et je ne crois pas que ce soit possible dans une structure telle que la nôtre, ni même souhaitable, parce que cela vient trop en contradiction avec le contexte institutionnel. Je pense que ce qui s’est passé avec l’Ǝcole a permis de pouvoir travailler avec une autre forme de conversation, des décisions prises en commun…

CP : Il y a aussi eu d’autres expériences de travail collectif au sein du CAC, comme ELGER. Le travail de recherche de Marie Preston m’a également beaucoup inspirée pour ce qu’on a pu faire ensemble.

MP : On a également créé des espaces pour travailler le collectif et la manière dont on est ensemble au sein de l’équipe dans des temps détachés des objectifs de travail quotidien.

MD : Oui, on en revient au faire. Dans le cadre de l’Ǝcole, on a joué à un jeu de société, L’art et ma carrière d’Olivia Hernaïz, on a fait un atelier clown avec un voisin usager du CAC, un atelier danse de chambre avec Morgane Brien-Hamdane. Pendant ces moments-là, on n’est plus du tout dans un objectif de travail et ça crée une autre relation dans le groupe.

MP : Cela me fait penser à la citation de Marie Preston, utilisée aussi pour la présentation du projet ELGER : 

« Pour s’inventer en tant que collectif, chaque groupe doit décider de gestes instituants spécifiques à son fonctionnement. Cela suppose que des « artifices », des « institutions » soient mis en œuvre. L’artifice « tente de faire fuir les agencements qui, dans une situation donnée, bloquent, enferment les capacités d’agir. » Il consiste à inventer de nouvelles habitudes et à croire en leur potentiel effet transformateur. Il nous oblige à des « décalages » et à réfléchir à ce qui semble « naturel ». Quant au terme « institution », pour Fernand Oury il désigne « ce que nous instituons ensemble en fonction de réalités qui évoluent constamment»: «La simple règle qui permet à dix gosses d’utiliser le savon sans se quereller est déjà une institution.» […] Ainsi dans les pédagogies institutionnelles comme dans la co-création, la formation et le fonctionnement du groupe participent des recherches-actions et recherches-créations en étant parties prenantes du processus artistique et du processus pédagogique. La conscientisation du groupe et l’implication de chacun·e dans son fonctionnement accompagnent l’activité partagée dans une dynamique démocratique. L’éducation populaire et les pédagogies institutionnelles nous donnent des outils techniques et théoriques permettant ce devenir collectif. Pourquoi cela est-il nécessaire ? Car les phénomènes qui ont lieu au sein d’un groupe sont les mêmes que ceux que l’on trouve dans nos sociétés qui favorisent l’individualisme, où les relations sont sous-tendues par des enjeux de pouvoir, par des rapports différents à la langue, par des processus de domination homme/femme, culturels ou encore économiques. […] En 1986, Félix Guattari disait dans le cadre d’un colloque sur « L’éducation et ses réseaux » qu’il faut d’abord « réinventer des machines de socialité, […] au niveau le plus élémentaire, pour qu’ensuite puissent se réinstaller des formes d’organisation  capables de reprendre en charge les grands problèmes de société. ». 

Ces pratiques qui instituent du collectif permettent d’être en relation autrement au sein du groupe. C’est une des raisons d’être de l’Ǝcole.

CP : Tu disais Marie que l’Ǝcole existait dans le contexte de mon projet, mais ce projet se prolonge sans moi. Quelles évolutions futures imaginez-vous pour l’Ǝcole ?

MP : Ce qui nous intéresse pour la suite de l’Ǝcole, c’est de réfléchir à comment faire quelque chose ensemble. Cela peut induire une pratique collective, une manière de faire groupe, et pour reprendre les mots de Marie Preston, comment cela institue des artifices qui permettent, ou aident, à faire groupe autrement, et du coup, à parler, à transmettre, à apprendre, à travailler…

MD : On voudrait penser quelque chose autour du faire pour des groupes constitués mais aussi des inviduel·les – des ateliers qui s’éloignent des pratiques artistiques scolaires. On imagine organiser un ou des événements  pendant une semaine au début de l’été 2024, un peu sous le même format que l’été culturel d’ELGER.

EK : Je pense que l’Ǝcole met en équilibre des tentatives, des expériences et des méthodes de travail qui ont été pour moi des arguments pour postuler au CAC. Ce sont des choses qu’on a envie de continuer malgré ton départ, Céline.

MP : Oui, l’idée est de continuer à réfléchir à la manière dont, à travers des pratiques artistiques, on peut ménager des moments pour avoir des « artifices », pour reprendre les mots de Marie Preston, qui accompagnent ce fonctionnement du CAC. Par exemple, continuer à prendre le temps de faire des choses ensemble qui nous sortent de la gestion quotidienne collective.

MD : On s’est dit que ce serait intéressant de collaborer avec un·e artiste qui accompagnerait ces temps-là tout au long de l’année.

CP : C’est très intéressant, un peu comme Fanny Lallart avec ELGER.

EK : Oui, nous avons pensé inviter quelqu’un·e qui puisse mettre en place cette articulation entre le faire et le collectif à travers des rendez-vous réguliers mêlant création plastique collaborative et conversation. Comme le disait Marie, nous sommes particulièrement intéressé·es par ces gestes collectifs qui offrent un cadre de parole, de débat et plus largement de partage de connaissances.

Retranscription et édition : Anne-Charlotte Michaut

Le CAC Brétigny est un établissement culturel de Cœur d’Essonne Agglomération. Labellisé Centre d’art contemporain d’intérêt national, il bénéficie du soutien du Ministère de la Culture—DRAC Île-de-France, de la Région Île-de-France et du Conseil départemental de l’Essonne, avec la complicité de la Ville de Brétigny-sur-Orge. Il est membre des réseaux TRAM et DCA. L’Ǝcole s’inscrit dans le cadre du Contrat d’Éducation Artistique et Culturelle (CTEAC) de Cœur d’Essonne Agglomération avec la DRAC Île-de-France et l’Académie de Versailles.